Bête (poème)

Une petite bête agonisante à mes pieds
Son corps maintenant si frêle
Agité par les saccades d’une respiration laborieuse
Ses yeux fatigués par hier
Une de ses mains s’accroche mollement à ma cheville
Elle attend que je la prenne dans mes bras
Elle me supplie de ne jamais la laisser mourir
La force de son désespoir m’impressionne
Je l’entends geindre en sourdine
Elle étouffe sous le poids des souvenirs
Sa colonne semble se casser sous le couvert de mon regard
Elle ne devient que craquelures
Le trottoir se fendille au rythme de ses soupirs
J’ignore comment bouger
Si je dois l’achever ou la caresser jusqu’à sa fin
Si je dois attendre ou marcher dessus
Ou encore m’allonger à ses côtés
M’écraser contre son dos osseux
Et laisser mes veines durcir
Je pourrais la mettre au congélateur
La laisser mourir de froid
La savoir tout près
Dans toute sa tragédie
Un animal blessé au fond de ma cuisine
Comme un oiseau s’écrasant en plein vol
Dans une glacière
Je n’inspire plus de la même manière
Depuis que tu m’as dit
Que rien ne venait
Ma douleur comme une entité incongrue
Au visage pâle et aux doigts crochus
Une créature pleurant tout le jour
Pour s’épuiser d’elle-même
Pour déborder de toi dans ses fêlures
Vomir ton absence dans ses propres mains
Pour la ravaler autant de fois que possible
Parfois j’ose croire que je pourrais l’enterrer vivante
Et pourtant
Chaque matin
J’ouvre le cercueil à nouveau pour y jeter un oeil
Pour la bercer contre ma poitrine
Pour lui chuchoter d’infinis peut-être
Pour lui répéter que tu existes encore
Pour la rassurer
Pour lui décrire ton visage
Une fossette à la fois
Lui chanter longuement ton sourire
Et l’endormir avec ces mêmes mots
Que tu versais directement dans mes oreilles
En murmurant avant même que le soleil soit levé

Elle soupire d’aise en sachant pourtant qu’elle doit mourir dans sa boîte
La conscience claire que je ne puisse pas la laisser crever dans mon champ de vision
À moins de vouloir rougir ma robe

3 Replies to “Bête (poème)”

  1. Tabarnak ! (chez moi, dans la parlure du nord de la France, on dirait « vindédiousse ») !
    Si j’ai bien saisi le sens du propos, ça parle d’amour morte, d’une relation qui s’achève, c’est bien ça ?
    En quoi cette pauvre petite bête sera-t-elle réincarnée ?
    Et cette existence prochaine sera-t-elle meilleure ?

    Amitiés amicales.

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Jase-moi ça.